L’histoire secrète de "Pourquoi j’ai pas mangé mon père", le film d’animation raté de Jamel Debbouze (2024)

Dans les coulisses des comédies françaises (11/11) - Cet été, BFMTV vous dévoile les secrets de films comiques français hors-normes, cultes ou insolites. Aujourd’hui, Pourquoi j’ai pas mangé mon père.

En 1989, lorsque le producteur Fred Fougea découvre Pourquoi j’ai mangé mon père, drolatique roman de Roy Lewis sur les premiers pas de l’humanité, il ignore qu’il va mettre vingt-six ans pour le porter à l’écran. Il ignore également que le résultat, une superproduction d’animation réalisée par l’humoriste Jamel Debbouze, sera l’un des films les plus décriés des vingt dernières années.

"Incompréhensible" pour les uns, "hideux" pour les autres, Pourquoi j’ai pas mangé mon père (2015) est devenu avec Astérix aux Jeux Olympiques (2008) et Cinéman (2009) l’emblème du nanar en France. Jamel Debbouze refuse désormais d’en parler. D’autres figures clés, comme Fred Fougea et le producteur Marc Miance, ont accepté pour BFMTV de revenir pour la première fois sur cette aventure douloureuse.

Marqués par cette "expérience frustrante", animateurs et techniciens témoignent aussi, mais anonymement, et se montrent impitoyables. Pour eux, l’existence du film est un "miracle”, qui "a relevé de la bonne volonté de beaucoup de monde." "C’est un film sur lequel il y a eu beaucoup de pression, où tout le monde n’est pas arrivé au bout de ce qu’il souhaitait faire", tempère Marc Miance. "En se lançant dans ce projet, on savait qu’on partait pour une aventure, une aventure industrielle comme on en fait peu en France."

"On avait la qualité de 'La Reine des Neiges'"

Développé sans réel succès pendant presque vingt ans malgré l’intervention de grands noms de l’animation comme Didier Brunner (Kirikou), Thomas Szabo (Minuscules), Tanguy de Kermel (Samsam) et Pierre Coffin (Moi, Moche et Méchant), Pourquoi j’ai pas mangé mon père est rendu possible grâce à Marc Miance, dont le film Renaissance (2006) avait fait grand bruit au festival d’Annecy en 2005.

Pionnier de la motion capture (capture de mouvement, utilisée pour Gollum ou le Tintin de Spielberg), il en montre les atouts à Fred Fougea, qui après des années à hésiter entre un film en prises de vue réelles et l'animation traditionnelle tombe sous le charme de cette technologie qui permet de restituer à la perfection l’extraordinaire gestuelle de Jamel Debbouze. "On a réalisé un test de deux minutes qui était tellement réussi qu’on a convaincu tout le monde", se souvient Fred Fougea.

"C’est vraiment le changement de forme du film qui a provoqué son financement", poursuit Marc Miance, qui se rappelle l’enthousiasme de Pathé en découvrant plus tard les douze premières minutes du film terminées: "Ils m’ont dit qu’on avait la qualité de La Reine des Neiges - en termes de texture de peau et de détails."

Une collaboratrice, moins emballée par le résultat, estime que Marc Miance s’est approprié le projet en agissant comme "un directeur de studio voulant appliquer sa technologie au film": "Ce qui l’excitait, c’était de développer de nouveaux outils. Il a par exemple dépensé énormément d’énergie sur un casque pour capturer les mouvements du visage des comédiens, alors que ce n’est pas ça qui porte un film ou qui va embarquer les gens pendant une heure et demie!"

"On voyait le Titanic couler"

Il faut un scénario. Et un bon. En animation, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Tout doit être minutieusem*nt préparé à l’avance. Tout l’inverse de la méthode Jamel, qui se nourrit des improvisations des comédiens. "Ce fut le seul écueil de cette longue préparation", concède un proche collaborateur de Marc Miance. Au fil de ces répétitions, le scénario gonfle. Fougea se révèle aussi intimidé par son sujet - "C’est une histoire envahissante, l’histoire du premier homme."

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"Pendant ce temps, on voyait le Titanic couler", remarque Rémi Chayé, responsable de l'une des équipes de storyboard devenu depuis un réalisateur reconnu (Calamity). "On allait droit dans le mur. On prévenait. On a été un certain nombre à gueuler. Mais comme Jamel était une star, personne n'osait lui dire que c’était n’importe quoi. Les personnages étaient creux et incohérents. On leur disait de bosser l’écriture. Avec Fred Fougea, ils sont partis à Marrakech plusieurs semaines pour rebosser les personnages."

Deux mondes cohabitent en réalité pour faire ce film hybride. D'un côté, celui du film en prises de vue réelles, représenté par Jamel Debbouze et Fred Fougea, et de l'autre celui de l’animation, campé par le reste de l’équipe. Ces deux mondes ne parlent pas la même langue et cela va donner lieu a de nombreuses incompréhensions et déconvenues.

Six mois avant le début du tournage, Jamel Debbouze fait appel à Ahmed Hamidi (Le Grand Bain) pour rajouter des gags. "La trouille de Jamel était que le film ne soit pas assez drôle. Il voulait vraiment faire rire les gens", précise Frédéric Fougea. Ils ont la main un peu lourde: avec presque cent pages supplémentaires, le scénario devient indigeste. Un choix s’offre à eux: repousser le tournage et repartir en écriture pour condenser les improvisations, ou tourner tout de suite et résoudre dans un second temps les problèmes de scénario.

"Avec Marc Miance et Frédéric Vandenberghe [superviseur de l’animation], on a beaucoup milité auprès de Pathé pour repousser le tournage", raconte un proche collaborateur de Marc Miance. "On avait conscience que ça allait coûter beaucoup plus cher de faire ce travail-là après le tournage que de le refaire en amont. Là-dessus, Pathé a plus écouté Fred Fougea et Jamel, qui avaient envie de tourner."

"Le plus gros film du monde en poils et feuilles"

Lorsque Pathé donne le feu vert au projet, il n'existe aucun plateau de motion capture (mocap) en France. Un gigantesque studio situé à Stains (Seine-Saint-Denis) accueille au cours de l’été 2012 ce tournage hors du commun. Le lieu doit héberger l’immense décor de l’agora des Simiens, ainsi que soixante caméras 4K et une batterie de serveurs. "On tournait en 240k", indique Marc Miance. "Le poids du film sur un disque dur est de 3 pétaoctets. Techniquement, le film était plus lourd qu’un Dreamworks ou un Pixar de l’époque! Et c’était le plus gros film du monde en poils et feuilles!"

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Un tournage - qui plus est pour un film en mocap - obéit à des règles très strictes, que Jamel Debbouze bouleverse avec sa bonhomie habituelle, en modelant "l’organisation des journées pour garder un maximum de fraîcheur chez les comédiens", se souvient un collaborateur: "Il n’aimait pas la pause-déjeuner. Il ne voulait pas qu’on perde de temps et on s’était un peu adapté pour qu’il y ait des plateaux-repas en permanence."

"À quatre heures, il y avait un petit mou - tourner huit à neuf heures par jour à quatre pattes, c’est extrêmement dur physiquement - et pour redonner la pêche il mettait de la musique et il demandait à tout le monde de danser. Puis c’était reparti pour trois heures de boulot." Si cette partie de la production se déroule sans accroc, c’est dans les coulisses de l’animation et de la fabrication des personnages que la situation s’envenime.

"Des propositions impossibles à réaliser"

La production, supervisée par le groupe MoonScoop (Code Lyoko, Titeuf), est marquée par un choix peu orthodoxe, celui de se passer du "character design", étape pourtant essentielle où les animateurs imaginent chaque personnage dans leurs moindres détails et expressions. "Fred Fougea et Jamel Debbouze trouvaient ça trop long et estimaient que ça ne servait à rien", déplore une collaboratrice. "La passe de 'character design' a été faite pour chaque personnage, mais elle n’est pas faite comme sur un film en animation 'key frame', car ce sont les comédiens en mocap qui vont apporter la gestuelle et l’expression faciale des personnages", précise un autre collaborateur. Les comédiens suivent d'ailleurs une intense préparation physique avec le coach zoomorphe Cyril Casmèze pour apprendre à être crédible en primate.

Auteur de plusieurs documentaires et films de fiction (dont Man to Man avec Régis Wargnier), Fred Fougea n’a pas l’habitude de parler à des animateurs. Un collaborateur se souvient d’avoir été fréquemment confronté à "des propositions impossibles à réaliser", comme celle d’imaginer une agora dans un arbre: "Il fallait faire un décor plat dans un arbre, qui est tout en branches et en verticalité!" Fougea n’arrive pas non plus à se projeter dans leurs travaux et il lui faut souvent voir une version finalisée d’un personnage pour savoir s’il le voulait dans le film.

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Ce processus est très chronophage, et très coûteux - tant économiquement qu'humainement. Les équipes créatrices, composées pourtant d’une vingtaine de storyboardeurs, fatiguent rapidement. La personne chargée des personnages se démotive. Même Frédéric Fougea souffre d’une crise de panique, harassé par ce travail. "On a fait 500 dessins, mais rien n’allait", se souvient un membre de l’équipe. Si Fougea rêve de Simiens anatomiquement exacts, il comprend que la mocap limite en réalité beaucoup le design des personnages, qui doivent ressembler le plus possible aux comédiens qui les incarnent.

À cela s’ajoute une autre difficulté. Le film étant cofinancé par Pathé Italie et Pathé Chine, les Simiens doivent ressembler autant à leur interprète français qu’à des stars locales. Cette décision de production se révèle un véritable casse-tête, d’autant que les comédiens étrangers n’ont pas la même corpulence que leurs hom*ologues français. Le cas de Lucy (Mélissa Theuriau) résume tout, selon un collaborateur: "Il fallait qu’elle ressemble à la fois à la femme de Jamel et à une Chinoise, et tout ça en singe, avec des poils! C’était impossible et le résultat ne ressemble évidemment pas à grand chose."

Si le design d’origine des personnages avait séduit toute l’équipe, le rendu final déçoit et "trahit le travail des designers", fustige Fred Fougea: "J’ai été surpris. Je n’ai pas reconnu notre boulot. Ils étaient pourtant si beaux au début. Ils ont perdu en finesse. Ils sont devenus plus gras." Un technicien abonde: "On dirait que les personnages sont habillés avec un costume de poils et un masque sur la tête. Ça fait un peu SF tchécoslovaque des années 1970."

"Avec toute l’équipe, on ne comprenait pas", renchérit un collaborateur. "On se regardait tous en se demandant ce qu’on était en train de faire. Vu la gueule des personnages, c’était impossible de les sauver avec de belles lumières." "Je crois qu’on est allé un peu trop loin dans le réalisme", reconnaît un proche collaborateur de Marc Miance. "Le fantasme de Pathé était de faire une sorte de Planète des singes." Eux visaient plus modestement un rendu proche de L’Âge de glace ou de Shrek.

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Grand fan de Louis de Funès, Jamel Debbouze décide également de créer un personnage en son honneur. L’idée devient rapidement un cadeau empoisonné, en la personne d'Olivier de Funès. Malgré des connaissances limitées en animation, le fils cadet de la star se montre très envahissant et s’immisce à un tel point dans le projet qu’il finit crédité au générique, sans toutefois avoir écrit une seule ligne de dialogue.

"C’était compliqué", se souvient Rémi Chayé. "Il ne fallait rien dire, sinon le type allait nous interdire d’utiliser Louis de Funès dans le film. Il proposait souvent des idées débiles. Il fallait faire comme si on les trouvait géniales. Même s’il y en avait quelques-unes de bonnes, c’était pathétique. Il ne se rendait pas compte que tout le monde soupirait quand il faisait ses blagues. Il faisait plus de peine que de mal au film."

"Jamel était tendu et anxieux"

La réalisation est partagée entre Jamel Debbouze et Fred Fougea jusqu’à la fin du tournage. Le producteur aide l’humoriste "pour amener toutes les décisions artistiques à maturité": "Je le suivais partout - au Maroc, au Mexique, sur sa tournée - pour prendre ses instructions et les rapporter au reste de l’équipe", assure Fougea. "J’étais comme un petit toutou qui suivait son maître. Pour moi, c’était son esprit génial et si particulier qui devait donner de la cohérence au film." Debbouze s’occupe aussi de la direction d’acteurs, qui fait l’unanimité, et Marc Miance gère la partie technique avec son équipe.

Jamel Debbouze s’étant retrouvé un peu par hasard à la tête du projet, leur aide est précieuse. Engagé à l’origine pour prêter sa voix à Édouard, le personnage principal, il avait réécrit le scénario "pour se le mettre en bouche" avant d’hériter de la mise en scène face à l’insistance de Jérôme Seydoux, le patron de Pathé. Jamel Debbouze avait hésité, parfaitement au courant qu’une dizaine de scénaristes (dont le scénariste de La Vie est belle et les créateurs de La Vérité si je mens) s’était succédé depuis la reprise du projet par Pathé en 2003. Tous avaient échoué, bloqués par l’absence de dramaturgie dans le livre de Roy Lewis.

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Jamel Debbouze savait aussi qu’avec le Marrakech du Rire, le Jamel Comedy Club et sa nouvelle vie de famille, il n’aurait pas une minute à lui. Pathé l’avait rassuré avec une offre impossible à refuser et en lui promettant de s’adapter à son planning et de l’entourer de "gens compétents". "Il nous en avait parlé", se souvient Rémi Chayé. "Il était désolé de ne pas avoir le temps, de nous mettre dans l'embarras, mais c’était le deal de départ avec Pathé." En son absence, c'est Fougea qui fait la courroie de transmission avec le reste de l'équipe.

"Jamel était par moments tendu et anxieux de savoir s’il allait faire un bon film", confirme Fred Fougea. "Plusieurs fois, il m’a dit que ça ne tenait pas la route." Le poids des deux décennies de développement pèse aussi sur ses épaules. Lorsqu’il s’empare des commandes du projet, 10 à 15 millions d’euros ont déjà été dépensés - et le budget du film prévu au départ à 23 millions grimpe rapidement à 50 millions.

"Son grand mot, c’était de dire, 'je suis bankable'!"

Les absences récurrentes de Jamel Debbouze sont mal perçues par l’équipe technique et témoignent selon une collaboratrice du manque criant de vision unique du projet: "C’était assez compliqué de savoir qui prenait les décisions." Lorsque Jamel Debbouze se rend disponible, il est systématiquement en retard, il a du mal à se concentrer, et pour gagner du temps, "il s'enregistrait et il nous donnait son iPad", indique un autre collaborateur.

Pour faciliter la communication, l’équipe technique tente de se faufiler dans son emploi du temps et va jusqu’à l’attendre passé minuit dans sa loge après son spectacle pour lui montrer les avancées de l’animatique. "On l’a fait une seule fois, car c'était impossible", poursuit ce témoin. "C’était une pile électrique. Il décompressait, il avait faim, il avait soif, c’était impossible pour lui de se plonger dans un storyboard. Il n'en avait rien à faire."

L'équipe technique fait comme elle peut pour composer avec les desiderata de la plus grande star comique française d’alors: "Quand il demandait quelque chose, il ne se posait pas la question de ce que ça allait coûter. Son grand mot, c’était de dire, hyper sûr de lui, 'je suis bankable'." Une folie des grandeurs partagée avec Fred Fougea, assure un technicien: "C’est une personnalité sympathique, mais c’était probablement le problème principal du film. Il avait la folie des grandeurs. Il lui fallait le Tout-Paris. Quand il lui fallait quelqu'un pour la musique, c’était Bobby McFerrin. Il y avait ce côté open-bar…"

Dans ces conditions, les équipes avancent comme elles peuvent. Les délais sont difficiles à tenir et les dépassem*nts de budget s’accumulent. Les points hebdomadaires avec Pathé sont "un peu tendus", note un témoin. Tout comme les relations entre Jamel Debbouze, Marc Miance et Benoît de Sabatino, le patron de Moonscoop. Départ volontaire ou renvoi - les témoignages divergent - la société quitte le projet après l’animatique (étape clé où le storyboard est synchronisé avec les dialogues), laissant les équipes en plein désarroi.

Marc Miance, qui prend en charge la production exécutive après le départ de Moonscoop, avait souhaité travailler avec une équipe resserrée de 30 animateurs, "pour être plus rapide dans les décisions et mieux communiquer". C’est donc en Inde, aux studios Prana, que le calcul des plans, le rendu et les effets visuels sont réalisés. "C’était impossible de trouver en France 250 animateurs prêts à passer un an sur des poils et des feuilles", précise le producteur. "Je suis allé vivre un an en Inde. Il fallait sortir 2.500 plans en un an."

"Pas un point de vue artistique"

Le montage est un véritable casse-tête. Conséquence d’une technologie très lourde, le volume des données enregistré sur le tournage fait exploser le budget. La production, qui n’avait pas prévu de tels dépassem*nts, doit ajouter en urgence entre 7 et 10 millions d’euros. Un premier bout à bout atteint les 2h40. L’animatique dure 1h32. L'heure restante est constituée de gags en tout genre: "On avait tout gardé pour être sûr d’avoir quelques bonnes vannes qui claquent", précise Fred Fougea.

C’est au début du montage que la situation se dégrade et que les versions diffèrent. Une idée est lancée, celle de sortir le film en deux parties d’une heure et vingt minutes pour exploiter au maximum les gags. D’où vient l’idée? Certains accusent Marc Miance, d’autres Fred Fougea. Saugrenue, la solution est envisagée une semaine, avant d’être abandonnée par Pathé. Mais les dégâts sont déjà faits, il faut un coupable pour les dépassem*nts et c'est Fred Fougea qui est choisi.

Bien qu'initiateur du projet, il est écarté juste avant le début du montage, "un peu poussé dehors, c’est vrai, par Pathé, mais aussi par Marc", raconte un proche collaborateur de Marc Miance. "Jamel a dû trancher. Ça a été la première fracture." "Dépossédé" de l’œuvre de sa vie, Frédéric Fougea ne comprend toujours pas avec le recul "comment Marc Miance a pu se passer de l’architecte du film": "C'est comme si l’ingénieur qui avait conçu toutes les pièces d’un Airbus était viré au moment de l’assemblage: l’avion ne peut pas voler!"

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"Je suis arrivé sur le film sans affect", répond Marc Miance. "Mon boulot, pour Jérôme Seydoux, c’était que le film sorte et il est sorti. J’étais la personne qui devait dire non à Fred Fougea et à Jamel Debbouze. Non à ce plan, non à tourner deux heures de plus, non à cet effet spécial supplémentaire, non à repartir en tournage, non à ajouter une heure de film. On faisait un film familial! Vu le budget engagé, il y avait une certaine responsabilité vis-à-vis de Pathé de faire un film qui pouvait sortir et attirer un large public en salle. Ce n'était pas un point de vue artistique."

Catapulté sur le projet, le monteur attitré de Toledano/Nakache, Dorian Rigal-Ansous, s’arrache les cheveux. "Dorian a passé ses journées et ses week-ends à monter dans tous les sens, mais ça s’est révélé inefficace", confirme un technicien. Pour clarifier le film, des plans doivent être ajoutés en urgence, soutient un collaborateur: "Ils ont reçu une enveloppe de sept à huit millions supplémentaires pour refaire un certain nombre de prises. Ils ont dû s'apercevoir qu’ils avaient beaucoup improvisé et que quand ils mettaient les séquences bout-à-bout il manquait les infos essentielles, le cœur de la scène."

"Le montage n’est pas fidèle au scénario et à l’animatique", insiste encore Fred Fougea. "Marc Miance a voulu supprimer un élément clé de la dramaturgie, le conflit entre Édouard et son frère Vania autour du destin du peuple simien. L’histoire ne tenait plus debout!" Fred Fougea déplore aussi un "mixage sonore catastrophique": "Le film a perdu 30% au mixage. Il n’y a aucun parti pris. On entend tout continuellement les bruitages et les cris des singes. On n'entend pas respirer Édouard. Le personnage est moins touchant." Avant la sortie, Fougea est invité à découvrir le film. "J'ai dit à Marc Miance que le mix était horrible, mais c’était déjà plié. Jamel était d’accord avec moi, mais il n’y avait plus le temps."

"La presse n’a pas été objective"

Le film est terminé in extremis ("On y a passé tellement de temps qu’on avait envie de le polisher", précise Marc Miance). La presse est impitoyable, jugeant le film "insipide" (L’Obs), "esthétiquement discutable" (Marianne) et d’une "puérilité inattendue" (Studio Ciné Live). Même Fred Fougea, ému de voir enfin son rêve se concrétiser, "n’adhère pas à tout" et le trouve "moche, mais drôle". Le public partage son sentiment. 2,5 millions de spectateurs se laissent tenter, loin des 8 millions d’entrées nécessaires à la rentabilité du projet.

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Déçu par ces chiffres, Marc Miance reste malgré tout fier du film: "On aime ou on n’aime pas le film, mais il est de bonne facture. La presse n’a pas été objective sur la partie visuelle. Sur l’écriture, c’est difficile de l’être, parce qu’il y a ceux qui aiment Jamel et ceux qui ne l’aiment pas. Mais si vous lisez les critiques internationales, vous verrez qu’elles sont toutes dithyrambiques sur le côté visuel. Elles se demandent toutes comment on a eu ce rendu avec ce budget." Pas toutes en réalité: le Guardian s’étonne du "chara design disgracieux" des Simiens, et Time Out de leur rendu "​caoutchouteux".

Pour Pathé, les pertes sont colossales. "C'est un échec de stratégie", analyse un proche collaborateur de Marc Miance. "C'était une méconnaissance du marché. Aucun film d'animation en France ne fait huit millions d'entrées." Le film a également du mal à s’exporter à l’international, où Jamel Debbouze est peu connu. "Tout s’est joué à Cannes, lors d’une projection auprès de distributeurs américains", se souvient cette source proche du dossier. "Personne ne comprenait le personnage de Jamel. Ils trouvaient très bizarre d’avoir tout le temps un personnage avec sa main dans le pagne."

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Le flop de Pourquoi j’ai pas mangé mon père marque une cassure dans la carrière de Jamel Debbouze. Depuis, les déconvenues se multiplient (échec d'Alad'2, accusation de plagiat, spectacles ratés...) Une mauvaise passe dont il devrait sortir prochainement. Il sera en 2022 à l’affiche du Jouet, remake de la comédie de 1976 avec Pierre Richard qui lui permettra de renouer avec une forme de burlesque plus enfantine et plus personnelle.

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https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV

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